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    L'architecture de la domination. Un siècle de politiques du logement ouvrier à Bombay (1850-1950)

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    A la différence d’autres métropoles indiennes au passé plus ancien (Delhi, Hyderabad, Ahmedabad...), la ville moderne de Bombay est une création du pouvoir colonial, portugais puis britannique. C’est ici que la Compagnie des Indes orientales, initialement basée à Surat, relocalise son quartier général à la fin du xviie siècle. Au cours des décennies suivantes, Bombay devient la tête de pont de cette entreprise mercantiliste, attirant dans son sillage des migrants venus de tout l’ouest de l’Inde, qui ne sont pas nécessairement issus de communautés marchandes mais qui sous le patronage du colonisateur se forgent rapidement une solide réputation de commerçants, à l’instar des Parsis zoroastriens. L’industrialisation de la ville, à partir de 1850, va encore renforcer l’effet d’attraction de cette économie urbaine florissante sur son hinterland rural. Dans la seconde moitié du xixe siècle, Bombay devient ainsi l’une des premières villes ouvrières de l’Inde, ses usines textiles employant à elles seules 73 000 travailleurs à la fin du siècle (sur une population totale de 821 764 personnes en 1891, contre seulement 221 550 en 1814). Les besoins en main-d’œuvre des industries naissantes sont pourtant en décalage avec les capacités d’hébergement, ce hiatus donnant naissance à un problème du logement lancinant, qui perdure aujourd’hui. La question du logement populaire n’en a pas moins été longtemps négligée par les historiens de la ville, le récent urban turn des études indiennes (jusqu’alors dominées par les travaux sur l’Inde rurale) n’ayant à cet égard guère changé la donne. C’est là la première originalité de l’ouvrage de Vanessa Caru, qui outre son sujet se singularise par ses ambitions théoriques et méthodologiques. À travers un siècle d’histoire des politiques du logement ouvrier à Bombay, l’auteure apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes de la domination coloniale, qui tout en faisant écho aux travaux de l’école subalterniste s’en singularise sur plusieurs points, notamment dans son rapport aux sources et dans sa conceptualisation de l’architecture, au sens propre comme figuré, de la domination coloniale. Car si cette domination s’exerce et se reproduit ici à travers une véritable politique urbaine, dont les contours se précisent à partir de la fin du xixe siècle, c’est aussi dans la matérialité du bâti - les matériaux de construction, la taille des fenêtres, l’emplacement des points d’eau, les systèmes d’évacuation des eaux usées et des ordures ménagères... - que se jouent les relations triangulaires entre l’État colonial, les élites indigènes et les castes et classes subalternes d’une Inde urbaine en plein mouvement. Bien que sous des modalités très différentes de celles du pays bamiléké étudié par Dominique Malaquais, l’environnement bâti fonctionne ici aussi comme un appareil de domination à part entière, dont l’analyse ouvre la voie à une compréhension des chemins toujours sinueux de la dissidence [Premier paragraphe

    Le général face à ses juges : la fronde de la magistrature pakistanaise

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    En suspendant le président de la Cour suprême de ses fonctions pour insubordination, le 9 mars 2007, le général Pervez Musharraf a déclenchéé la plus grave crise politique à laquelle il ait dû faire face durant les neuf ans qu’il a passés au pouvoir (1999-2008). Refusant de céder aux pressions du général-président et des responsables des services de renseignement, qui, après lui avoir proposé une solution à l’amiable, le menacèrent de poursuites judiciaires pour abus de pouvoir, le juge Iftikhar Chaudhry a en effet entame un bras de fer avec l’armée et son chef. Au cours des jours qui ont suivi la décision présidentielle, il a reçu le soutien d’une grande partie du barreau, déterminé à défendre l’indépendance du judiciaire face aux manœuvres d’un président inquiet pour son avenir politique a l’approche de l’expiration de son double mandat de chef de l’Etat et de chef de l’Armée de terre. Mais le mouvement de protestation en faveur du magistrat n’a pas été limité aux professions juridiques ; très vite, la réaction des juges et des avocats pakistanais a rallie des mécontentements divers. Cette crise politique fournit donc de précieux éléments de compréhension des lignes de fracture et des attentes actuelles de la société pakistanaise, ainsi que des rapports de force présidant a la formation de l’Etat. Au-delà du cas pakistanais, elle conduit également à s’interroger sur la force du droit dans les régimes ou règne le droit du plus fort, ainsi que sur un phénomène longtemps néglige par la sociologie des mobilisations : celui des mécanismes d’extension des mouvements sociaux reposant sur des changements d’échelle, lesquels"conduisent à une protestation élargie regroupant un plus large spectre d’acteurs et a l’établissement de ponts entre leurs revendications et leurs identités". [Début de l'article

    Derrière le rideau de bambou : le coût social des Commonwealth Games de Delhi

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    En accueillant l’édition 2010 des Jeux du Commonwealth (CWG), du 3 au 14 octobre, le gouvernement indien s’est livré à un « coup » médiatique. À travers cette manifestation sportive internationale, Manmohan Singh et son équipe espéraient consolider l’image de l’Inde comme puissance émergente, rivalisant avec une Chine tout aussi résolue à démontrer son soft power sur le terrain du spectacle mondialisé. Ce projet a pourtant tourné court. Les retards accumulés dans la construction des infrastructures sportives et d’hébergement, leur qualité discutable, les soupçons de corruption pesant sur les organisateurs indiens et leurs partenaires étrangers, ou encore l’attaque contre des touristes étrangers à Delhi quelques semaines avant l’ouverture des Jeux ont plutôt contribué à ternir l’image de l’Inde. Les échanges houleux entre les organisateurs indiens et les responsables étrangers du comité de gestion des CWG, tout au long de la préparation de cette édition 2010, ont par ailleurs ranimé des tensions post-impériales là où cette manifestation sportive était censée les atténuer. Ces jeux en valaient-ils donc la chandelle ? Rien n’est moins sûr, surtout si l’on déplace le regard du champ diplomatique vers le social. [Début de l'article

    Asie du Sud : les amateurs-experts de la violence collective

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    Plus meurtriers que toutes les guerres interétatiques du passé, les conflits intraétatiques de l’Asie du Sud ont renforcé la polarisation sociale, ethnique et religieuse de l’ensemble des pays de la région, tout en alimentant la « milicianisation » de ses sociétés. Dans ce contexte, les opportunités de carrières violentes se sont multipliées pour les jeunes aspirants à la mobilité sociale. Ces carrières miliciennes impliquent cependant un parcours souvent fastidieux de professionnalisation. De surcroît, les résultats ne sont pas toujours – et en fait rarement – à la hauteur des attentes. La guerre irrégulière (re)paie bien mal ses petites mains

    L'architecture de la domination. Un siècle de politiques du logement ouvrier à Bombay (1850-1950)

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    A la différence d’autres métropoles indiennes au passé plus ancien (Delhi, Hyderabad, Ahmedabad...), la ville moderne de Bombay est une création du pouvoir colonial, portugais puis britannique. C’est ici que la Compagnie des Indes orientales, initialement basée à Surat, relocalise son quartier général à la fin du xviie siècle. Au cours des décennies suivantes, Bombay devient la tête de pont de cette entreprise mercantiliste, attirant dans son sillage des migrants venus de tout l’ouest de l’Inde, qui ne sont pas nécessairement issus de communautés marchandes mais qui sous le patronage du colonisateur se forgent rapidement une solide réputation de commerçants, à l’instar des Parsis zoroastriens. L’industrialisation de la ville, à partir de 1850, va encore renforcer l’effet d’attraction de cette économie urbaine florissante sur son hinterland rural. Dans la seconde moitié du xixe siècle, Bombay devient ainsi l’une des premières villes ouvrières de l’Inde, ses usines textiles employant à elles seules 73 000 travailleurs à la fin du siècle (sur une population totale de 821 764 personnes en 1891, contre seulement 221 550 en 1814). Les besoins en main-d’œuvre des industries naissantes sont pourtant en décalage avec les capacités d’hébergement, ce hiatus donnant naissance à un problème du logement lancinant, qui perdure aujourd’hui. La question du logement populaire n’en a pas moins été longtemps négligée par les historiens de la ville, le récent urban turn des études indiennes (jusqu’alors dominées par les travaux sur l’Inde rurale) n’ayant à cet égard guère changé la donne. C’est là la première originalité de l’ouvrage de Vanessa Caru, qui outre son sujet se singularise par ses ambitions théoriques et méthodologiques. À travers un siècle d’histoire des politiques du logement ouvrier à Bombay, l’auteure apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes de la domination coloniale, qui tout en faisant écho aux travaux de l’école subalterniste s’en singularise sur plusieurs points, notamment dans son rapport aux sources et dans sa conceptualisation de l’architecture, au sens propre comme figuré, de la domination coloniale. Car si cette domination s’exerce et se reproduit ici à travers une véritable politique urbaine, dont les contours se précisent à partir de la fin du xixe siècle, c’est aussi dans la matérialité du bâti - les matériaux de construction, la taille des fenêtres, l’emplacement des points d’eau, les systèmes d’évacuation des eaux usées et des ordures ménagères... - que se jouent les relations triangulaires entre l’État colonial, les élites indigènes et les castes et classes subalternes d’une Inde urbaine en plein mouvement. Bien que sous des modalités très différentes de celles du pays bamiléké étudié par Dominique Malaquais, l’environnement bâti fonctionne ici aussi comme un appareil de domination à part entière, dont l’analyse ouvre la voie à une compréhension des chemins toujours sinueux de la dissidence [Premier paragraphe

    Le désordre ordonné : la fabrique violente de Karachi (Pakistan)

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    Avec une population dépassant les 20 millions d’habitants et une croissance démographique se maintenant à un niveau spectaculaire, Karachi pourrait devenir la première agglomération urbaine du monde d’ici 2030. C’est aussi la plus violente de ces grandes métropoles. Depuis les années 1980, Karachi est confrontée à des rivalités partisanes et à des violences criminelles endémiques portant sur le contrôle de la ville et de ses ressources. Ces luttes se sont progressivement ethnicisées, si bien que ce « Pakistan en miniature » apparaît de plus en plus fragmenté, aussi bien socialement que spatialement. Mais, malgré ses désordres, Karachi demeure la pierre angulaire de l’économie pakistanaise. Et, contrairement aux lectures journalistiques de ces désordres en termes de « chaos » ou d’« anarchie », une forme d’ordre y régule les interactions politiques, les relations sociales et les pratiques d’accumulation économique. Loin d’être entropique, cette configuration violente se reproduit à travers des formes de domination, des rituels d’interaction et des mécanismes d’arbitrage qui rendent cette violence « gérable » au quotidien – sans évacuer pour autant le sentiment d’insécurité résultant de ses transformations continues. Si la viabilité de ce « désordre ordonné », à moyen terme, n’est pas assurée, pour l’heure, Karachi continue de fonctionner en dépit – et parfois en vertu – de ses violences.With a population exceeding twenty million, Karachi is already one of the largest cities in the world. It could even become the world’s largest city by 2030. Karachi is also the most violent of these megacities. Since the mid-1980s, it has endured endemic political conflict and criminal violence, which revolve around control of the city and its resources. These struggles for the city have become ethnicised. Karachi, often referred to as a “Pakistan in miniature”, has become increasingly fragmented, socially as well as territorially. Notwithstanding this chronic state of urban political warfare, Karachi is the cornerstone of the economy of Pakistan. Despite what journalistic accounts describing the city as chaotic and anarchic tend to suggest, there is indeed order of a kind in the city’s permanent civil war. Far from being entropic, Karachi’s polity is predicated upon relatively stable patterns of domination, rituals of interaction and forms of arbitration, which have made violence “manageable” for its populations – even if this does not exclude a chronic state of fear, which results from the continuous transformation of violence in the course of its updating. Whether such “ordered disorder” is viable in the long term remains to be seen, but for now Karachi works despite—and sometimes through—violence.Avec une population dépassant les 20 millions d’habitants et une croissance démographique se maintenant à un niveau spectaculaire, Karachi pourrait devenir la première agglomération urbaine du monde d’ici 2030. C’est aussi la plus violente de ces grandes métropoles. Depuis les années 1980, Karachi est confrontée à des rivalités partisanes et à des violences criminelles endémiques portant sur le contrôle de la ville et de ses ressources. Ces luttes se sont progressivement ethnicisées, si bien que ce « Pakistan en miniature » apparaît de plus en plus fragmenté, aussi bien socialement que spatialement. Mais, malgré ses désordres, Karachi demeure la pierre angulaire de l’économie pakistanaise. Et, contrairement aux lectures journalistiques de ces désordres en termes de « chaos » ou d’« anarchie », une forme d’ordre y régule les interactions politiques, les relations sociales et les pratiques d’accumulation économique. Loin d’être entropique, cette configuration violente se reproduit à travers des formes de domination, des rituels d’interaction et des mécanismes d’arbitrage qui rendent cette violence « gérable » au quotidien – sans évacuer pour autant le sentiment d’insécurité résultant de ses transformations continues. Si la viabilité de ce « désordre ordonné », à moyen terme, n’est pas assurée, pour l’heure, Karachi continue de fonctionner en dépit – et parfois en vertu – de ses violences

    Karachi : Violences et globalisation dans une ville-monde

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    Ville de migrants et « cité-entrepôt » ouverte sur le monde depuis la période coloniale, Karachi a vu son tissu social se déchirer depuis les années 1970. L’éclipse du « monde commun » karachiite prend sa source dans la faillite des plans d’aménagement urbain sous-traités par les autorités pakistanaises à des experts étrangers, ainsi que dans les violences sociales suscitées par le débordement du jihad afghan hors de ses frontières. Les partis ethniques et les groupes criminels qui prolifèrent à Karachi depuis cette époque ont participé à la fragmentation de la ville et à son implosion en une myriade de micro-territoires communautaires régulés par le « clientélisme armé ». Cette fragmentation extrême de l’espace urbain local a contribué à l’enracinement des réseaux nationaux et transnationaux de l’islam radical, sans pour autant faire de Karachi un « sanctuaire » pour les jihadistes qui y ont trouvé refuge

    Le « Jeu de l'amour » : trajectoires sacrificielles et usages stratégiques des martyrs dans le mouvement sikh pour le Khalistan

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    Si le Panth sikh a connu ses premiers martyrs dès le XVIIe siècle, ce n’est qu’au XIXe que le mouvement de réforme socio-religieuse des Singh Sabhas a formalisé un idiome du martyre sikh, édictant les (bonnes) manières de pratiquer et d’évoquer la mort volontaire dans le sikhisme. Ces codes pragmatiques et discursifs ont été appropriés par les mouvements révolutionnaires sikhs (tels que le Ghadr, au début du XXe siècle) et surtout par le mouvement sécessionniste pour le Khalistan. Chez les Khalistanis, le martyre présente une profonde ambiguïté, puisque le désir de mort des combattants sikhs à longtemps constitué un obstacle à l’adoption d’une stratégie insurrectionnelle cohérente par les leaders des groupes armés. Lors de la commémoration de la lutte armée, en particulier sur l’Internet, ces suicides anomiques à peine voilés ont été reconstruits par les entrepreneurs identitaires sikhs comme des sacrifices offerts à la nation, dépouillés de leur dimension profondément individualiste.Although the first Sikh martyrs gave their lives as early as the 17th century, it is only in the 19th that the Singh Sabha socio-religious reform movement standardized a Sikh “tradition” of martyrdom. This invented tradition was later on appropriated by Sikh revolutionary movements, such as the Ghadr movement of the 1910s, and even more so by the secessionist movement for Khalistan in the 1980s. For Khalistani guerillas, martyrdom was the outcome of a deeply individualistic death wish that prevented the leaders of the insurgent groups to define a rational strategy in their struggle against the Indian state. However, after the movement was militarily defeated, in the mid-1990s, these voluntary deaths were converted and celebrated (particularly on the Internet) as unambiguous sacrifices for the nation, and they were instrumental in the construction of a combative memory of the movement for Khalistan

    Sociologie des combattants:[Introduction]

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    Les phénomènes guerriers et la violence politique sont l’objet d’un regain d’intérêt dans les sciences sociales et historiques qui concerne aussi, et de plus en plus, la science politique française. Issu de plusieurs manifestations scientifiques – le séminaire de recherche « La guerre des sciences sociales » à l’ENS Paris-Jourdan, et une Section thématique du 10e Congrès de l’Association Française de Science Politique -, ce dossier de Pôle sud entend contribuer à ce renouvellement à travers des communications portant sur des acteurs qui ont longtemps été négligés dans l’étude des guerres et des conflits : les combattants ordinaires des armées professionnelles ou des forces armées irrégulières

    La passion des urnes : à propos de la contribution de Fariba Adelkhah à l’exposition « Images à l’appui/Visual Notes from the Field » (2017)

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    En juin 2017, une exposition photographique s’est tenue à Sciences Po Paris autour de la photographie de « terrain ». Présentant cinq séries de travaux, « Images à l'appui/Visual Notes from the Field » entendait contribuer au dialogue entre ethnographie et photographie. Sollicitée pour participer à cette exposition, Fariba Adelkhah avait soumis une série d'images réalisées entre 2014 et 2016 au cours de consultations électorales en Iran et en Afghanistan. Ces images et leurs légendes faisaient écho à une oeuvre d’anthropologie politique traquant le changement social dans l'épaisseur de ses strates historiques et culturelles, sans se laisser intimider par le poids apparent de la Tradition mais sans céder non plus aux sirènes du Développement et de la Reconstruction.A Passion for Elections: Fariba Adelkha’s Contribution to the Photo Exhibition “Images à l'appui/Visual Notes from the Field” (2017) - In June 2017, a photo exhibition was held at Sciences Po Paris around fieldwork photography. Presenting five series of works, “Images à l'appui/Visual Notes from the Field” aimed to fuel the dialogue between ethnography and photography. Fariba Adelkhah submitted a series of images produced between 2014 and 2016 during electoral contests in Iran and Afghanistan. These images and their captions were consonant with her political anthropology, which has been relentlessly tracking social change through the thickness of its historical and cultural strata, without being intimidated by the apparent weight of Tradition but also without yielding to the sweet song of Development and Reconstruction
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